Conflit en Géorgie

Publié le par Silvère Say

Voici une interview de Thornike Gordadze, Directeur de l'Observatoire du Caucase, trouvée sur le site du journal Le Monde ce lundi soir. Elle permet de mieux comprendre l'enchaînement des derniers jours qui est en train de conduire à l'annexion pure et simple de la Géorgie par une Russie impérialiste et expansionniste :

Pourquoi les autorités géorgiennes ont-elles lancé cette offensive militaire pour reprendre l'Ossétie du Sud ? Espéraient-elles vaincre militairement les forces russes ?

L'enclave de Tskhinvali empoisonnait la vie des autorités géorgiennes depuis longtemps. Dirigée par des officiers russes, elle servait de poste avancé du Kremlin, d'où attentats et sabotages étaient organisés. Et Mikheïl Saakachvili a, semble-t-il, fait le pari que, cette fois-ci, les troupes russes le laisseraient faire sans réagir. Le 7 août, il s'est en effet déclaré "certain que la Russie ne veut pas la guerre".

Comment le président géorgien a-t-il pu être si naïf ?

Le piège fut bien amené. Alors que tous les regards sont tournés vers l'Abkhazie, où les Américains, l'Union européenne (UE) et les Allemands proposent des plans de règlement bien accueillis par Tbilissi, les heurts reprennent en Ossétie du Sud à l'initiative du chef des séparatistes ossètes, Edouard Kokoïty. Les Géorgiens ripostent. Le ministère russe des affaires étrangères offre ses bons offices. Il envoie l'ambassadeur Popov, qui promet de ramener les Ossètes à la table des négociations. Mais le 6 août, ces promesses apparaissent vaines et les envoyés russes se répandent en critiques contre Kokoïty, qui, disent-ils, ne les écoute plus et aurait épuisé leur patience. "Nous sommes en contact avec les Russes, ils sont étonnés du comportement de Kokoïty, qu'ils ne peuvent plus contrôler", déclare Saakachvili lui-même le 7 août.

Le président géorgien en aurait conclu qu'il avait carte blanche pour reprendre Tskhinvali. Les Ossètes ouvrent ce soir-là le feu sur des villages géorgiens et les Géorgiens ripostent en lançant leur offensive dans la nuit...

Peut-être est-ce un signe de tiraillement entre les diplomates et les fameux "silovikis", ces faucons des ministères "de force" russes ?

Ces tiraillements étaient perceptibles. Les Géorgiens y fondaient leurs espoirs. Kokoïty est une créature des "silovikis". Ensemble, ils détournent des dizaines de millions de dollars du budget russe destiné à la lutte contre la Géorgie de Saakachvili. Aujourd'hui, leur camp obtient une victoire écrasante sur ceux qui, du bout des lèvres, osaient formuler les voeux d'un plus grand libéralisme en Russie. Après le timide "ne rendez pas la vie cauchemardesque aux entreprises" adressé au mois de juillet par le président Dmitri Medvedev aux "silovikis", la revanche de ces derniers est totale.

Quels sont alors leurs objectifs ?

C'est de renverser Saakachvili. L'Ossétie du Sud ne représente pour la Russie aucun intérêt en soi. A la différence de l'Abkhazie et de ses belles plages, elle n'a aucune ressource naturelle, aucune industrie et sa population est passée de 90 000 à 30 000 habitants en quinze ans. Mais elle présente l'intérêt de servir à lancer une guerre visant à installer un régime géorgien sous influence, qui renoncerait à ses aspirations euro-atlantiques et ne permettrait plus le transit d'hydrocarbures évitant la Russie.

Les dirigeants russes ont-ils les moyens d'écarter M. Saakachvili ?

Ils veulent le faire passer pour un criminel de guerre, responsable d'un "génocide", en avançant des chiffres très exagérés de morts civils à Tskhinvali. Il faut savoir que cette ville n'a que 15 000 habitants, dont plus de la moitié a fui avant sa prise par les Géorgiens.

De plus, beaucoup de victimes seraient en fait celles des bombes larguées par les Russes après l'éphémère prise de la ville par les troupes de Tbilissi.

Certes, la manipulation du terme "génocide" par un régime à l'origine du massacre de 150 000 Tchétchènes est un pari un peu risqué. Mais les Russes, d'après leurs propres dires, ont désormais "surmonté leur complexe d'infériorité"...

Propos recueillis par Sophie Shihab

Publié dans Actualité politique

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